par Claude Blouin
L’édition Fantasia 2012 propose
quantité de films japonais, une bonne part en anime. J’ai
profité de la salle de visionnement de presse pour voir en dvd des
films dont l’horaire de projection ne me convenait pas. Le festival
m’en a rendu l’accès possible, et je suis bien tombé, car ces
œuvres nous interpellent particulièrement à la lumière du tsunami
et de l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima. Elles
seraient pertinentes sans cela, mais elles font écho à
l’électrochoc communiqué à une société dont le mal de vivre
s’exprimait, avant ces événements, dans un courant qu’on
pourrait résumer en un nihilisme qui avait tendance à faire peu de
cas de ce que le vivant a toujours à perdre plus qu’il ne croit,
quand il dit n’avoir rien à perdre. En même temps, le côtoyait
une autre tendance, marquée par le volontarisme ou le discours
d’excellence morale des «traditions» : elle manquait d’une
dimension autocritique au profit de la stigmatisation prononcée
d’une vie sans volonté propre et enracinement culturel.
Les films de Yuya Ishii et Gakuryu
Ishii nous permettront de mesurer comment cette double tendance a pu
être modifiée, ce que chacun des cinéastes trouve à exprimer de
singulier sur ce fond commun de préoccupations. Daigo Matsuji nous
fera faire une pose dans la comédie. Puis nous renouerons avec un
cinéma désireux de prendre en compte l’impensable avec les
oeuvres de Hidenobu Abera et Eisuke Naito. La question des rapports
entre innovation et tradition trouvera dans le film de Yoshihiro
Nakamura une interprétation sympathique.
Hara ga kore nande de Yuya Ishii
Mitsuko delivers : le titre
anglais spécifie l’état biologique dans lequel Mitsuko, enceinte
et à la veille d’accoucher, enchaîne ses réponses aux questions
auxquelles fait écho le titre originel : Hara, et ça,
qu’est-ce donc ?
On appréciera d’abord la dimension
sociale de ces interrogations, grâce au rapprochement que le récit
impose entre la situation d’un chômeur actuel, soldat fidèle
trahi par sa compagnie, et les oubliés du miracle économique, qui,
rescapés des bombardements américains, étaient restés dans
l’enclave géographique d’un quartier préservé, devenu une
enclave économique.
Notons que, tout en se montrant réservé
sur le rôle des Américains dans l’histoire récente, le cinéaste
ne revendique pas une définition puriste de l’identité culturelle
japonaise, les personnages exprimant leurs aspirations à un monde
meilleur par le recours à des expressions anglaises. D’ailleurs,
la famille n’y est pas conçue sur le modèle uniquement fondé sur
l’hérédité : l’adoption joue un rôle, comme c’était
déjà le cas dans un lointain passé.
Dès l’ouverture, le cinéaste
choisit une sobriété dans le choix des moyens d’expression à
laquelle il sera essentiellement fidèle. Fond noir du générique,
voix d’un chômeur, qu’on découvre enfin, assis sur un banc,
dans un parc. Non, il n’est pas le héros, mais son semblable par
l’expérience de la désillusion. Le héros est une héroïne, qui
le rencontre par cette entrevue télévisée, avant de le croiser
plus tard.
L’attitude de cette héroïne donne à
une critique de l’individualisme, récurrente dans le cinéma
japonais, sa singularité.
D’abord, si par elle nous voyons en
autrui les méfaits d’un idéal exacerbé de réserve et les
désastres que le secret entraîne, elle-même cache à ses parents
et qu’elle est enceinte et qu’elle n’est pas aux U.S.A.. Sens
du secret bien institutionnel, puisque le désir d’épargner à
autrui les soubresauts de leurs humeurs se traduit également chez
les parents, silencieux sur leur situation financière. Ces exemples
présents dès le début en recouperont d’autres, ajoutant au
procès de ce qu’on nous laisse entendre être l’éthique en
cours.
Si fort d’ailleurs ce souci de ne pas
troubler autrui que le film esquisse un portrait de la différence
entre générations, en montrant un homme, l’oncle, résolu à
tenir parole, plus aisément assumant ses responsabilités qu’apte
à déclarer son amour à sa bien-aimée, contrairement à son neveu.
Si Mitsuko sait qu’elle s’impose,
elle ne se contente pas de se disculper en invitant les autres à
s’imposer à elle ! Elle paie ses dettes, et on assiste
bientôt au ballet d’un rendu pour un donné. Personne qui, ici,
n’est objet de bonté n’abuse. Or cela rejoint bien le fil d’une
longue tradition narrative.
Cette tradition est soulignée par
l’échange entre Mitsuko et une propriétaire surnommée
grand-mère, femme elle aussi intrusive, mais généreuse, véritable
grand-mère modèle pour l’héroïne : elles discutent du sens
du mot uki, traduit en anglais par « cool », mais qui est
riche en association avec le bouddhisme et les arts populaires :
il renvoie au thème de l’impermanence, de la fluidité de l’être.
Cette force qu’est la tradition orale
est soulignée par le rôle de flashbacks : grâce à eux nous
découvrons que la femme enceinte ne suit pas le vent par simple
tempérament, mais par mimétisme avec la nature profonde de son
milieu d’abord, de l’être humain ensuite. Savoir prendre une
pause, saisir le moment qui passe, c’est bien l’héritage des
pêcheuses d’abalone d’Utamaro qui ressort ici.
De Mitsuko adulte à Mitsuko fillette,
du Japon de maintenant à celui de la guerre, puis de la
reconstruction, l’histoire vécue, la tradition orale donc, donne
vie.
On pensera à Nuages flottants
de Mikio Naruse et on songera que le cinéaste s’inscrit à son
tour dans une tradition cinématographique en accordant la vedette à
un nuage qui revient en leitmotiv, et dont la contemplation permet à
l’héroïne de mettre en perspective ses problèmes. De
dédramatiser.
Ailleurs des gros plans plutôt rares
d’objets : pièces de monnaie, sac d’école, ponctuent un
récit centré sur les êtres humains filmés la très grande partie
du temps en caméra stable. Si celle-ci bouge, c’est soit fort
lentement pour exprimer la sympathie et la tendresse à l’endroit
du personnage qu’on approche, soit en un jeu de plongée et
contreplongée et plan plus large pour suggérer l’héritage du
western, du duel ici avec la vie elle-même.
J’ai moins apprécié les moments de
scènes de groupe, où l’intention de magnifier l’esprit de
solidarité ou l’énergie retrouvée m’a semblé trahir un
volontarisme que le cinéaste partage avec Mitsuko. Car si celle-ci
invite à poser des questions au vent, à faire confiance, elle
incite à s’affirmer, ce qu’on peut admirer, mais elle n’est
pas loin de vouer, en cela aussi si conforme à l’héritage
narratif du cinéma de genre, un pouvoir quasi magique à la volonté,
et cela me paraît plus suspect.
Et malgré tout, on veut y croire…
Sauf en deux de ces scènes où les
conventions de direction d’acteurs m’ont paru plaquées,
l’ensemble du film m’a donc charmé, ému et donné à penser
aussi bien dans sa critique des limites des vertus de la retenue que
dans cet attachement à développer en nous les occasions de savoir
décrocher, donc de voir ce que, au milieu de ses violences, la vie
fait éclater de beauté.
Dans la lumière d’un jaune doré
parfois, plus assombri, et avec les surexpositions des débuts des
flashbacks, la stabilité de la caméra rend plus convaincante cette
dissociation entre invitation à garder confiance et quête d’une
impossible et illusoire sécurité. C’est que celle-ci « se perd
dans les détails », se transforme en rigidité, là où la
confiance s’accommoderait du changement, de la vie en somme, celle
même qui reste inconnue, va naître, là, dans l’instant où le
noir du générique revient.
Ikiteru mono wa inai ka de
Gakuryu Ishii
Le cinéaste dont Electric Volt
80,000 et Angel Dust m’avaient permis de prendre la
mesure de tout ce qu’animisme et bouddhisme pouvaient éclairer de
la manière de représenter le présent nippon me ravit encore par
une œuvre dont la retenue, la cohérence dans le choix de lieux de
tournage, des soupçons d’interventions musicales, de la
théâtralité sont assumées par le plan séquence parfois, le jeu
de dialogues toujours : l’échange sur la pertinence ou pas de
l’avortement enchaîne avec un autre sur les diverses manières de
préparer le café. Si cette théâtralité et cet évident souci de
composition ne sont pas plaqués, c’est qu’ils servent de
contrepoint à un propos dont au centre repose l’expérience de la
perte de contrôle.
Shiro Maeda a adapté sa pièce, mais
l’empreinte stylistique du réalisateur pour les raisons susdites
fait pour beaucoup dans l’expérience de peur graduellement
éprouvée par un spectateur exposé à des conversations
interrompues par l’annonce de morts inexpliquées. Maeda et Isshi
s’entendent pour bien établir la fragilité de cette civilisation
où les moyens de communications, en informations comme en
transports, sont censés être en flux continus. Désarroi quand le
cellulaire ne fonctionne plus, ou quand le métro s’arrête, petits
pépins qui font que l’on s’exprime, en « temps normal », comme
s’il y avait là drame… alors que LE drame s’annonce par ces
pépins, à l’insu de tous.
Oui, ces jeunes se posent de graves
questions : faut-il avorter ou pas, se marier, mais avec qui ?
Mais aussi comment fait-on le café, et cela dans la foulée… Oui,
ils peuvent s’inquiéter pour autrui, mais est-ce vraiment et
seulement par souci pour eux, ou ne serait-ce pas par inquiétude
viscérale, cherchant un objet auquel se fixer ?
Mais de notre mort certaine, point
question. Jusqu’à ce que sa possibilité devienne plausible, puis
imminente…
Dès lors à quoi bon poursuivre une
recherche, si la mort risque de nous interrompre, si personne ne
reste pour cueillir l’héritage de nos études ?
Le spectateur est prévenu, d’abord
par de longs moments de silences musicaux, qui rendent ensuite plus
inquiétantes ces stridulations, puis ces quelques portées, plus
loin, plaintives… Les personnages qui dérogent au look d’enfants
privilégiés, et dont ceux-ci pourraient se détourner, deviennent,
devant la menace commune, étrangement familiers les uns avec les
autres. Et plus que plausible et en dysharmonie avec le cinéma
commercial nippon, la présence de cette femme, la seule malade qu’on
voit, de dos, au début, et qui ne le soit pas du fait de l’épidémie.
Du moins semble-t-il. Femme forte, de bien des façons, et peut-être
du fait d’être la seule à oser dire qu’elle veut la solitude…
Sans doute ce qui se dit n’est pas le tout de ce qui se sent, mais
si c’est vrai d’elle, alors pourquoi ne pas l’inférer de tous
ces êtres qui allèguent la peur de la solitude ?
Dans quel monde vivons-nous,
vivons-nous, nous japonais, nous que nos catastrophes ne se bornent
plus à détruire leur seul pays, croirait-on entendre dire les
auteurs. Nous vivions dans la conviction que nous appartenait la
maîtrise graduelle de notre environnement, grâce à nos inventions
quasi magiques, tant elles visent l’instantanéité des résultats
: par elles, nous « mettons en scène notre vie, en êtres libres,
décideurs de notre destin. En contrôle.
Voyez l’architecture dont nous nous
environnons, ces teintes rassurantes, apaisantes, bleus graves et
gris, surfaces lisses, parfois apparaît le géométrisme suggéré
d’un panneau : tout dit qu’ici nous savons ! Nous
savons faire ! Nous savons être. Nous sommes en contrôle, sans
superflu, jusque dans l’hédonisme de notre gastronomie. Jusque
dans l’emploi, avec économie, d’objets pour meubler notre décor
de vie.
Or qu’advient-il si nos instruments
eux-mêmes, voire nos jeux, comme celui des rumeurs, des mythes
urbains, échappent à ce contrôle fantasmé ? La catastrophe
n’aura-t-elle pas les qualités mêmes que nous recherchions avec
nos instruments ? La même instantanéité ?
Le film ne m’a pas saisi dès le
début : il tarde à présenter ce qui liera le sort des
personnages. Cela rappelle la difficulté pour un néophyte, ce
qu’Ishii n’est pas, de savoir rompre un plan, abréger. Cette
tendance à prolonger une scène au-delà de ce qu’elle donne à
pressentir me rappelle ce qui pouvait me gêner dans des films
antérieurs de ce cinéaste, films dont j’ai par ailleurs été
marqué, car Ishii nous entraîne volontiers jusqu’à ces
mouvements de l’esprit dont les remous échappent aux mots.
Peut-être cette intuition qu’il nous communique ne le peut-elle
être qu’après cette expérience de vide ?
Mais surtout, si, en dépit, du brio de
ces morceaux de conversations initiaux, je ne me sentais pas tout à
fait engagé dans le récit, c’est que les protagonistes semblaient
construits sur le modèle de ceux de tant de mangas, conçus pour
être définis une fois pour toutes comme des types plus que comme
des individualités : chacun résumerait une de ces catégories
dont la culture japonaise se montre si empressée de créer des
variations, des sous-genres.
Curieusement, c’est au moment où
cette succession de «résumés» de comportements allait de
l’agacement me faire glisser à l’ennui que l’irruption de la
menace atteignant tous les protagonistes a converti en qualité le
style « convenu » des héros. Alors même que la situation sort de
l’ordinaire, le vernis des pratiques antérieures tient, résiste.
Les auteurs du film attestent ainsi de
leur compréhension de la manière dont les « traditions », celle,
individuelle, du tempérament, celle, collective des règles
d’identification au groupe national ou générationnel, nous
imprègnent à notre insu, opèrent en marge de ce que le réel nous
oblige à considérer.
Voyez comme sont puissants les
mécanismes sociaux et les habitudes individuelles, comment, même
face à un monde métamorphosé, les rythmes habituels s’imposent,
comment, par exemple, nous prenons hors de propos des photos, puisque
nous pouvons maintenant en prendre tout le temps, avec notre
téléphone.
Des signes anodins deviennent
annonciateurs de tragédies. Une toux. Spasmes, convulsions : si
le grotesque et le scatologique trouvent à s’insérer dans ce
récit, sans qu’on les réduise à l’intention de choquer ou de
fabriquer de l’horrible, c’est bien parce que le contrôle de
sphincters est le premier acte dit de socialisation, de maîtrise de
soi, et sa perte, le geste ou le non-geste ! le plus banal par
lequel la maladie et le vieillissement humilient la personne qui ne
peut même plus contrôler « cela ».
Quant à la quête d’originalité,
l’humour noir l’écorche, avec ces variations sur la recherche du
«mot de la fin ».
Le volontarisme n’opère pas non plus
ici de miracle, notre ignorance déborde de notre science.
Contrairement au film de Yuya Ishii qui
se clôt par des scènes tournées à Fukushima (j’ignore si c’est
avant ou après le tsunami ), ce film-ci ne se réfère pas
explicitement à ce lieu : le désir d’un des personnages de
voir la mer prend une étrange résonance. L’expérience d’une
catastrophe de double origine, une naturelle, l’autre bien humaine,
anticipée sans doute par les auteurs, rejoint encore plus
étrangement celle des spectateurs japonais, qui suivent au jour le
jour les bulletins de nouvelles relatifs à la présence de
radioactivité…
Le récit, qui est une forme de mise au
point, en devient moins leçon qu’invitation à écouter, à
écouter autour de nous.
Même la nature est atteinte, même le
rêve, qu’on subodore à entendre certains discours anarcho-écolos,
le rêve d’une planète plus belle d’être sans hommes, même ce
rêve se trouve brocardé. Deux inserts tiennent à la fin lieu de
séquences entières.
On notera que comme dans le film de
l’autre Ishii, c’est une femme enceinte qui proclame la force du
désir de vivre, mais son destin ici n’est pas le même…
Toutefois, au désir d’accélérer l’accès à la mort des uns, à
celui de persévérer dans l’être des autres, les Gakuryu Ishii et
Shiro Maeda donnent ici priorité à l’appel à la vie, non tant
par les épisodes choisis, voire le fait que le « vivez » soit
lancé par deux des protagonistes à la fin, que par le travail sur
la forme de leur film : d’aucuns trouveront que, devant la
perspective de la mort, ni science, ni art n’ont sens. Mais vivre
est faire, chanter et apprendre. Même l’agonie manifeste encore
la violence de la vie.
Si ce film s’adresse aux rescapés de
Fukushima et à tous ceux qui traversent des épreuves où la
proximité de la mort s’impose, dut-on s’en éloigner
temporairement à nouveau, oui, c’est bien par l’attention à ce
que d’autres prendraient pour des « détails »: le choix du
bleu et blanc du plan initial, dans lequel baigne la malade, celui de
la composition où les lieux semblent dessinés, tant le jeu des
lignes y est apparent, ces touches musicales qui viennent concrétiser
notre appréhension vague, sans alléger notre attente, ces moments
où l’image est cadrée de telle sorte qu’elle rend justice à ce
qui provoque devant la vie notre ah ! d’admiration, et nous
invite à chercher à quelles conditions nous le pouvons éprouver,
et comment être tels que nous le puissions encore.
Afuro Tanaka de
Daigo Matsui
Afro Tanaka correspond à un
intermède dans mon survol des œuvres portant un regard plus cru sur
la société japonaise et les formes que prend sa quête de valeurs.
La comédie était bien servie par le
grand écran, mais surtout un public nombreux, bienveillant à en
juger pas sa promptitude à rire, du moins dans la première partie.
Le récit interpelle davantage notre
manière de nous soumettre à une narration qu’il n’exprimerait
une conception de la manière dont les rapports de couple
s’engagent : plus un ensemble de portraits des lieux communs
aux fictions actuelles et aux reportages de revues sur l’art de
séduire qu’un examen des modes intellectuelles en elles-mêmes ou
une évocation innovatrice de la manière dont l’individu se
construit dans sa relation aux autres. Entre satire sociale et
parodie de genres, l’oeuvre incline plutôt vers cette dernière,
du moins si je prends en compte les éléments esthétiques qui m’ont
frappé.
Du point de vue des dialogues, les
scènes qui m’ont le plus amusé et tout à la fois révélé le
jeu de la façade et de l’intériorité (soto/naka ;
omote/ ura) sont celles où, comme le Woody Allen de Annie
Hall, le cinéaste oppose propos dits et gestes posés à pensées
intimes.
Visuellement, il excelle à cerner par
le retour d’éléments lumineux ou de teintes vives le désir plus
que la réalité du bonheur : voici une société qui SE VEUT
heureuse, mais avec tant d’artifices (surcharge d’éléments
décoratifs) qu’on sent la solitude sous-jacente. La compense le
sens de solidarité entre amis, lui-même nuancé par le jeu du dit
et du non-dit.
Il faut reconnaître que l’espérance
demeure un ressort encore puissant d’identification pour le
spectateur, même quand le réalisateur s’amuse à le détendre…
L’effort du comédien (charge de la
gestuelle, recours répété à l’art de la pose figée qui
rappelle le mie du kabuki), le sens du récit avec ses
enchaînements ubuesques ou se voulant tels mènent souvent à
défoncer des portes qui me semblaient déjà ouvertes. J’ai souri,
plus souvent que ri, et à quelques reprises ai connu des passages
d’indifférence.
Il n’empêche que ce film condense
les préoccupations récurrentes de la fiction récente au Japon :
harcèlement scolaire, chute de l’idéal de vie rêvée au moment
du passage aux difficultés de la situation économique, tension
entre nécessaire contrainte dans l’expression de ses sentiments
réels et nécessité égale, pour atteindre autrui et entrer en
relations véritables, de parler avec sincérité, omniprésence de
moyens de communication, moins signes de liens qu’expression de
l’angoisse de l’attente et du désir de liens, enfin tendance à
décomposer toute l’aventure humaine en étapes, comme si la
maîtrise des processus allait produire des effets magiques.
En rappelant la prégnance de ces
comportements et problématiques, Afro Tanaka dépasse le
divertissement entendu comme fuite temporaire de nos soucis pour
atteindre, par moments cette forme de jeu où se laisse entrevoir
notre propension à nous laisser robotiser et enfermer dans un cycle
de pensées réducteur.
Shinitasugiru Hadaka
de Hidenobu Abera
Entre un crâne et une statuette
d’ange, le héros de Nakedness which wants to die too much
se tient en funambule sur ce qu’il croit être l’arête vive
qui sépare la vie de la mort. Autant il aspire à celle-ci, autant
il la redoute : il se résout donc à jouer son suicide.
Le cinéaste reprend ici LE thème
classique maintenant du cinéma d’adolescent, celui de l’exclu
(hikikimori), victime de harcèlement par le groupe, voire
objet de déception pour sa famille, produit d’une enfance exposée
à la mort. Mais le récit attache d’abord par son ton, puis par ce
fil conducteur d’une évolution impliquant le passage par un
renversement du statut de victime à celui de bourreau.
Ce dernier point se ressent à suivre
le cheminement du héros dans sa relation avec la seule personne,
Sayaka, prête à le défendre, à s’attacher à lui, et à
laquelle il ne pardonnera pas d’abord de n’être pas l’ange
qu’il la voulait être.
Dès lors, la statuette apparue en
pré-générique prend une dimension double : par ce qu’elle
représente, un idéal, mais aussi bien la réalité la réalité de
la protection que la jeune femme apporte au héros, mais aussi par
son style, rococo et sulpicien à la fois, signe d’une ouverture
possible à la confiance, à l’abandon au sentiment ET à
l’acceptation d’une part de délicatesse possible dans un monde
autrement remarquable par son omniprésente brutalité. Le cinéaste
d’ailleurs souligne comment la tentation de frapper devient jeu,
comment le sens de ce que l’on fait disparaît au profit de la
prétention de savoir qui a réussi à atteindre ou pas la victime !
D’une telle brutalité, le personnage
de l’amie semblait dépourvue, aussi bien dans son allure
d’écolière, que dans sa gentillesse, que dans ses gestes de
tendresse. Or sa «saleté» tient à l’exclusion d’un type
d’acte qui relève, pour elle, de l’ordre du bonheur et de la
santé, du moins si l’on en juge par le style du film, plutôt que
par le jugement des personnages qui la méprisent, Elle trouve à ce
comportement ce qu’ignore le héros : une occasion de se
réconcilier avec l’idée que corps ne soit pas synonyme de
souffrance, et regard d’autrui de haine ou de mépris.
Le cinéaste n’épouse pas la ligne
du soap a priori, le jeune garçon revenu de sa colère ne
sauve pas in extremis la jeune femme ; la fin devient, il est
vrai, confuse, entre gore qui serait «réel» et
mise-en-scène et interprétation double possible d’une fin qui m’a
paru exprimer davantage l’impossibilité pour le réalisateur de
trouver une réponse à ses yeux satisfaisantes à la terrible
question de l’existence de ce besoin de meurtre et de suicide. À
ce titre, le réalisateur ne procèderait-il pas par son film comme
son héros par sa boulimie d’enregistrements ?
À cette brève intrusion de l’esprit
des films de fantômes, j’ajouterais à mon inconfort esthétique
la reprise antérieure fréquente des mises-en-scènes de suicides.
Pourtant la compulsion et le désir de mort et le harcèlement
appellent la répétition, mais, dans le récit, les nuances de sens
de l’une à l’autre sont trop ténues pour me donner le sentiment
de découverte ou de révélation.
Sayaka sait que le mal n’est pas dans
le geste lui-même dont elle recherche la répétition, mais dans le
risque de s’y réduire et de réduire à son goût de le faire
TOUTE sa valeur, d’ainsi faire fi de sa diversité de besoins et de
qualités. D’où la nécessité de s’affranchir du commerce, par
lequel une action est précisément réduite à sa valeur marchande.
En refusant de l’écouter, le héros agit envers elle comme il
souffre de voir les autres agir envers lui, et ce faisant, provoque
des conséquences…
Mais s’il y a une présence plus
active que la volonté (de contrôle de sa vie, de mise-en-scène en
somme) des protagonistes, c’est le hasard. En est-ce vraiment un ?
Car, comme un ange gardien, Sayaka survient à point nommé chaque
fois…. Par ce choix le cinéaste manifeste qu’il n’endosse pas
tout à fait le regard de « lucidité » de son héros : la vie
ne se laisse pas borner par une définition.
Cela se traduit par le choix de mettre
en valeur la vivacité de couleurs du vivant, comme une pousse, des
fleurs, voire les états divers de l’eau, le scintillement du
sable, la fantaisie dans l’ornementation du gâteau ou le rococo
de la statuette.
L’usage des gros plans, plus
fréquents que d’ordinaire, favorise l’identification du
spectateur à l’hypersensibilité du héros, pour qui toute
sensation de rejet, toute forme même laissent une impression. Le
chaos s’ensuit, avec la difficulté de saisir en quoi ces éléments
divers peuvent être harmonisés, avec aussi le risque terrible
d’abattre sa garde par confiance donnée, d’être trahi par un
acte, détail pour d’autres, dramatique pour lui : gros plans
de personnes comme d’objets se relaient, et voici, en plan serré,
Sayaka suivie en travelling : le cadrage en gros plan par une
caméra à l’épaule exacerbe le tourment intérieur. Certains
motifs médicaux donnent écho au déchirement du héros.
Mais le jeu de couleurs de paysages vus
et de scènes vidéographiées, l’intrusion d’autres morceaux de
musique s’ajoutent au choix d’événements, aux entrées en scène
de Sayaka pour rappeler que la vie peut offrir des moments de grâce,
que le désir de ne pas souffrir ne saurait être confondu avec celui
de se suicider, que l’affection n’implique nullement la sujétion
aux diktats de ceux par qui on voudrait être accepté.
Compterait plus que tout le temps pris
à écouter le récit de la vision d’autrui, en son développement.
Par là le film rejoint les trois
premiers commentés.
De cette écoute le style, le ton, le
récit donnent exemple.
Sensei wo ryuzan
saserukai de Eisuke Naito
Toute vie, fut-ce celle du fœtus, est
un phénomène qui irréversiblement aura été. Toute vie s’achève
dans la mort. Entre ces deux propositions s’articule ce récit
cruel, glacial souvent, dense, inquiétant dès l’énoncé du
titre : Let’s-make-the-teacher-have-a-miscarriage-club.
Dès l’ouverture, j’ai été saisi
par cette rangée de jeunes filles, adolescentes en début de
secondaire, impassibles devant la mort d’un animal.
Mizuki, la leader, s’empare d’un
corps d’animal, et, comme elle le fera par la suite, avance avec
détermination en un mouvement d’ascension, dont la fin est de
précipiter les choses dans leur chute ! Aux rires de ses
compagnes, elle riposte par un « qu’y a-t-il de drôle », qui la
rend terrifiante.
Le spectateur ignorera jusqu’à la
fin, contrairement aux héros des films précédents, la nature de
l’enfance de ces ados, et voilà pourquoi, graciles ou boulottes,
en tout cas vulnérables, la vulnérabilité même de ces jeunes
filles ajoute à notre impuissance devant la soif de détruire, qui
les fait se lier en club. Pourquoi cette détermination à faire le
mal ? Silence sur les motivations individuelles…
Le signe de ralliement du club ?
Un pacte. Écrit en caractères sur le mur de leur repaire, maison
abandonnée, bric à brac de débris où elles jouent avec un rat
mort, comme Mizuki avec le cadavre d’oiseaux.
L’adversaire ? Une prof de
chimie. Enceinte. Encore une fois, notons-le, la combativité trouve
son incarnation dans une femme en cet état. À deux reprises, dont
une par un sabotage digne d’une narration d’Hitchcock, en
quelques plans, le club d’écolières essaie de provoquer
l’avortement annoncé par le titre. Cela permet au cinéaste, via
une collègue de la prof et une assistante sociale, de rappeler la
loi tant à propos de l’interdiction de frapper les élèves que du
statut du foetus comme être pas encore « humain ».
La prof, donc, tient tête, et en
paiera le prix. Elle s’oppose moins aux enseignants qu’à la mère
très protectrice d’une camarade sous l’emprise de Mizuki. Or les
dialogues sont ainsi faits que l’enseignante a l’air, par sa
manière de se défendre (et de refuser de s’excuser pour son
comportement envers les élèves) d’une nostalgique d’une ère de
discipline révolue. Surtout l’ancien prof que je suis tique à la
réplique qu’exaspérées devant le manque de soutien de ses
collègues elle lance pour expliquer ce à quoi on semble vouloir
réduire le rôle des enseignants désormais.
En même temps, l’ancien prof sait
bien que celui qui passe tout n’est pas forcément celui qui aime
le mieux.
Et le cinéaste joue de ces deux
éléments, pour ajouter à la tension.
Le film progresse par plans en caméra
stable, qui se prolongent sur des lieux et des visages d’adolescentes
impassibles, ou rieuses à contretemps de ce que l’on souhaiterait.
Une exception d’autant plus efficace : la charge dans un
corridor de Mizuki déchaînée, filmée en caméra mobile et
instable qui semble participer à la retraite de la prof.
Contrairement aux diverses scènes de
harcèlement de Nakedness, celles de ce film m’ont horrifié
parce leur inévitabilité. Le spectateur aura des surprises, dont le
retour sur la logique des éléments donnés par le cinéaste
confirmera combien le comportement de la prof demeure cohérent. À
sa question à ses élèves : que feriez-vous si on attentait à
votre enfant, écoutez sa réponse. Manifestement, pour le cinéaste,
consentir au réel et refuser de faire comme si rien ne s’était
passé, seraient justement le moyen d’éviter l’irruption de la
violence devant l’inéluctabilité de la mort, et la condamnation
de toute vie à l’insignifiance.
Nous nous trouvons aussi impuissants
que le prof, et plus qu’elle, puisqu’elle ignore les préparatifs
auxquels nous assistons : une écolière «motivée» détourne
ce qu’elle apprend de son cours de chimie en arme contre sa prof,
transforme la science en sorcellerie (dessein maléfique, culte du
secret contraire à la science, clandestinité), par là met en
question l’usage que nos propres sociétés font de la
connaissance. Et rejoint la suite des films de fantômes où la peur
de la puissance indéterminée, insaisissable de la femme est
projetée par le mâle perplexe. Ici, en tout cas, la lutte se tient
entre femmes, le mâle a perdu toute capacité de tenir tête, de
porter attention.
Mizuki regarde en face ce que
d’ordinaire on cache, la mort des oiseaux, des lapins, elle
applique à la traîtrise la loi du talion. Et attend. Attend qu’on
soit plus maligne qu’elle : l’implore-t-elle ?
Rétrospectivement. Peut-être.
Peut-être.
Car c’est une des qualités de ce
bref récit de soixante minutes que de laisser plus de choses dans
l’ombre sur les explications qu’il n’en découvre. Ce que le
film propose comme pensée déborde ce que la prof définit comme
juste.
Les sources nipponnes du sentiment du
lien avec tous les vivants sont réexaminées, sans références
théologiques explicites, mais le vent et les virolets ont un petit
air de Jizo, divinité protectrice des fœtus et enfants
morts, statue qu’on trouve à la croisée des chemins. La seule
immersion dans la nature ne suffit pas à ces écolières pour donner
le sens que la vie puisse avoir du sens : ce qu’elles
choisissent d’en retenir ne mène pas forcément à la
reconnaissance. Il faut le passage et l’apprentissage par les
symboles, cette écriture par exemple qui traduit la personnalité
autant qu’elle décore la classe, atteste par son affichage du
progrès dans l’apprentissage, autant qu’elle peut servir à
consacrer un rituel de violence…
Le cinéaste recrée en une petite
ville, proche de la nature, du vert vif des rizières, un microcosme
de notre univers urbain, pose la question : comment libérer un
enfant de l’idée fixe que la mort frappe tout de son silence ?
Là où l’impuissance à répondre à
une question qui s’impose entraîne d’autres cinéastes à
projeter en monstres à trois têtes l’insoluble, ici, sur le ton
qui rappelle celui de Bresson, avec sa rigueur de cadrage (
horizontales, lignes brisées), sa puissance de gestes, Eisuke Naito
réussit un récit où s’allient espérance et consentement au
réel, reconnaissance du besoin de la parole et nécessité de
prendre au sérieux les questions.
Sans tenir pour rien les gestes.
Chonmage Purin
de Yoshihiro Nakamura
A boy and his samurai, le titre
en anglais, annonce la confrontation entre deux âges :
biologiques, avec enfant et père de substitution, historiques, avec
l’apparition en 2009 d’un samouraï de 1826.
On s’attend à un festival
d’anachronismes, à des quiproquos, on se demande ce que fera de
son sabre ce guerrier fourvoyé dans un monde de salariés et de
fonctionnaires… Le titre japonais réfère à la coiffure, la
toque, distinctive du samouraï, mais établit un lien insolite
avec un flan (purin): ainsi l’association pâtisserie/
guerrier préfigure-t-elle ce par quoi ce film sort de la simple
parodie ou du burlesque pour esquisser une analyse amusante et amusée
de la modernité.
Sans doute ce film ne bouscule-t-il pas
la manière dont on a recours au langage cinématographique. Musique
et plans sont soumis aux impératifs de lisibilité du scénario, ne
distraient jamais des nuances entre malentendus du samouraï et ceux
de Tomoya, le garçonnet, ou de sa mère, Hiroko.
Ainsi, la musique peut-elle aussi bien
emprunter à des rythmes latins qu’à des sonorités de tambours
familières à l’époque Édo, que devenir sentimentale, au moment
où un personnage atteint le point limite d’un aveu ou d’une
reconnaissance.
De même, les plans d’ensemble et les
cadrages en pied sont-ils dominants, de façon à ce que jamais le
contraste entre habillement du guerrier et instruments de modernité
ne soit escamoté.
Mais l’originalité du récit tient à
cette façon moins d’opposer la surprise, attendue, du voyageur
temporel devant les moyens modernes de locomotion, de communication,
de cuisine que dans le contraste entre le discours sur le travail,
digne du code du guerrier, et les pratiques, insolences, libertés
effectives des employés. Ainsi se trouve suggéré comment ce
discours ne s’est pas ajusté aux conséquences de la prolifération
de technologies modifiant le temps de réalisation, d’attente,
aussi bien que l’énergie requise par l’individu. Le récit
souligne aussi que l’économie d’énergie, curieusement,
n’empêche pas une accélération des exigences et du sentiment
d’urgence. Bien entendu, cette constatation abstraite, ce n’est
pas le dialogue qui la fait, mais elle est implicite dans les
situations et actions, énergiquement, tendrement, fermement jouées
par les comédiens.
Film à voir avec les enfants de plus
de dix ans, leurs parents et les grands parents, récit varié en
genres, de la comédie au mélo en passant par le bref film de
chambara, Chonmage Purin est construit sur le mode de
la boucle : le texte initial qui apparaît en pré-générique
et qui semble relever de l’intemporel, rejoint à la fin le temps
de l’action, se colore d’une portée différente, inscrit le
récit dans la tradition religieuse et narrative, en même temps
qu’il met en évidence la singularité du héros.
Si l’appel à être fier de ce qui
vient de son passé, à ne pas céder aux modes étrangères,
apparaît, tel qu’attendu par le sujet, en revanche, comme dans
Mitsuko delivers, c’est à la sincérité, à l’engagement
dans l’action choisie que nous sommes conviés : à cette
condition, l’ouverture à ce qui vient d’ailleurs nous est
présentée comme tout à fait compatible avec la tradition. C’est
que celle-ci vivifie par l’esprit plus que par les formes. Mais
comment reconnaître l’esprit de la forme ? À ce que le réel
singulier, les individus en leurs aspirations, le monde en ses
conditions nouvelles, sont pris en compte !
Lorsque la valeur propre des gens,
celle de leurs convictions, n’est pas mise en lien avec ce qui
change et ce qui demeure, la cruauté, l’indifférence, le
formalisme pointent.
On appréciera, comme dans Nakedness
ou Afro Tanaka, sur un mode ici plus nuancé, voire admiratif,
l’aptitude à décomposer en kata, modules d’action, les
opérations d’un art. On appréciera comment ce récit, éloge de
ce qui demeure vivace de la tradition autant qu’appel à la
sincérité, avec humour, s’appuie sur un phénomène de mode :
la cuisine des chefs ! On sourira à cette fiction devenue comme
un manuel de savoir-tenir-maison à l’intention des mâles !
Ainsi l’esprit trouve-t-il à se métamorphoser en des actions où
on n’en n’attendait pas la manifestation, par là se reliant à
la tradition narrative du film de fantômes…
Avec ce film, se clôt donc de manière
gracieuse mon passage à Fantasia.
Bilan
Si aucun film, parmi ces six, ne m’a
laissé avec le sentiment d’être devant un moment
d’approfondissement et de recréation du cinéma, devant une oeuvre
qui marquerait l’atteinte d’un ordre différent de ressentir et
d’exprimer en cinéma le rythme des hommes, en revanche j’ai pu
voir des films qui m’ont nourri. Les uns l’ont fait par
l’éclairage apporté à des aspects de la société japonaise
(Afro Tanaka, A Boy and his Samurai, Mitsuko
delivers). Les autres, par leurs essais pour varier les modes de
narration (Is’nt anyone alive ?, Nakedness which
wants to die too much), m’ont poussé à cerner de manière
nouvelle pour moi mon point de vue sur les thèmes qu’ils
abordaient, comme à m’interroger sur la façon dont le style
perçait mes défenses, enrichissait ma perception.
Dans le cas du récit de Gakuryu Ishii,
en dépit des hauts et des bas de mon attention, cela a été jusqu’à
me faire prendre conscience de l’importance des habitudes de
pensées et de réactions dans l’adaptation, ou son échec, à la
nouveauté. En cela, si celui de Nakamura y répond avec des voix
nuancées, Gakuryu Ishii m’est apparu stimulant comme à son
habitude, un peu à la façon dont Sion Sono et Takahisa Zeze,
également auteurs de films où mon niveau d’enchantement oscille à
l’intérieur d’une même œuvre, réussissent souvent à me faire
entrouvrir une fenêtre, porter jusqu’aux mots une intuition jusque
là vague.
Sans être une œuvre dont le
traitement de la matière cinématographique rejoindrait celle des
Ozu, Kobayashi, Oguri ou Kore-eda, Let’s-make-the
teacher-have-a-miscarriage-club d’Eisuke Naito est celle qui,
à la fois comme éclairage sur la société peinte, l’ouverture
sur les ténèbres de la condition humaine et le ton et le rythme
soutenu du récit, m’a laissé la plus vive impression, et ouvert
avec le plus d’acuité, continument, à cette expérience de vision
et de bouleversement dont le cinéma peut être la voie.
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